Guillaume Mazauric

Mai 2020 Emerige

Textes

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Mon travail récent se focalise sur les perspectives plastiques et poétiques ouvertes par les nouveaux médias et les pratiques contemporaines de l’image. Depuis un an je me suis concentré sur une variété de programmes d’intelligence artificielle appelés réseaux antagonistes génératifs ou G.A.N. dont un usage répandu est la génération de contenus multimédia (images, videos, sons, textes, etc.).

Ces programmes ont particulièrement retenu mon attention afin de réaliser mes pièces. Il en existe plusieurs et chacun permet de produire un résultat particulier ; par exemple, un programme de «synthèse sémantique d’images» permet de composer des images à partir d’une palette non pas de couleurs mais d’éléments communs (personnage, ciel, sol, pelouse, bateau, etc.) ; un programme de «conversion texte/image» permet de créer des images à partir d’une phrase ou d’un mot ; alors qu’un autre programme permet de créer des images à partir de catégories de sujets définis (chien, requin, portrait de célébrité, violoncelliste, etc.).

Dossier-Emerige-2020.pdf

Ce qui ressort des résultats encore balbutiants offerts par ces programmes, c’est un sentiment confus de familiarité et d’étrangeté avec les formes qu’ils produisent, aucune véritable équivalence dans la réalité, aucune ressemblance avérée. Les textures, les formes, les environnements sont «photoréalistes», ce que nous voyons c’est la photographie de quelque chose qui n’existe pas, la simulation d’une photographie. Ces images apparaissent comme une langue étrangère visuelle, un aperçu de notre monde vu par des machines.

Ces programmes de génération d’images inspirent déjà les artistes dans une large mesure. Une œuvre récente de Pierre Huyghe y fait appel (Uumwelt), tout le travail de Mario Klingemann, pionnier dans ce domaine. On rencontre également des approches plus technicistes et critiquables dans le sens où elles tendent à défendre un art sans artistes, produit entièrement par des intelligences artificielles. Ce n’est pas mon propos au contraire, je pense que déléguer une activité humaine à des dispositifs techniques comme les IA est une forme de soumission alors que l’appropriation de ces dispositifs permet de s’en émanciper.

Dans ma pratique récente, peindre à partir de ces images représente un défi plastique passionnant, elles autorisent une approche figurative tout en éludant la problématique du sujet et de la ressemblance. Le sujet devient l’image elle-même et non pas son contenu.

Dans les pages suivantes, je détaille quelques procédés de génération ainsi que les résultats obtenus lors de mes expérimentations menées dans mon atelier nantais et lors de ma résidence au Vecteur à Charleroi en février 2020.

Synthèse sémantique d’images

Une des méthodes que j’utilise principalement pour préparer mes images est la «synthèse sémantique d’images». Techniquement il s’agit de dessiner des plages de couleurs auxquelles correspondent des concepts simples (personnages, objets communs, éléments de paysage) et le programme va générer le contexte et les textures de ces éléments.

Le programme d’apprentissage machine utilisé pour composer ces visuels s’appelle SPADE et a été développé par NVidiaLabs et le MIT.

Aperçu de l’interface du modèle SPADE-COCO que j’utilise pour composer les études préparatoires à mes tableaux. Il s’agit d’un programme encore limité mais offrant déjà des possibilités intéressantes.

Conversion de texte vers une image

Une autre méthode est la conversion de texte vers une image, qui consiste très prosaïquement à écrire un texte afin de générer une image. Les résultats de cette méthode m’intéressent pour leur étrangeté à la limite de l’abstraction. La fidélité à la phrase écrite n’est pas le but recherché (et heureusement…) mais plutôt les possibilités esthétiques et plastiques des résultats obtenus.

Le programme AttnGAN que j’utilise a été développé initialement par Tao Xu pour Microsoft research.

Aperçu de l’interface du modèle AttnGAN. Le logiciel me permettant d’exploiter ces modèles d’intelligence artificielle s’appelle RunwayML et a été développé explicitement pour permettre à des artistes de s’approprier des algorithmes de machine learning comme AttnGAN ou SPADE.

Génération de styles d’images

Plutôt que des styles d’images, les programmes StyleGAN et BigGAN permettent de générer des images à partir de catégories de sujets.
Ces programmes ont été développés par NVidia et DeepMind.

Aperçu de l’interface des modèles StyleGAN, utilisé ici pour générer des visages de célébrités qui n’existent pas et BigGAN, utilisé pour générer des photographies d’orques.

En conclusion j’aimerais citer deux extraits de textes qui ont eu une forte influence sur ma réflexion et mon travail. Il s’agit d’un texte de Jorge Luis Borgès et du commentaire qu’en fait Jean-François Lyotard.

[…] En ce temps-là, le monde des miroirs et le monde des hommes n’étaient pas, comme maintenant, isolés l’un de l’autre. Ils étaient, en outre, très différents ; ni les êtres ni les couleurs ni les formes ne coïncidaient. Les deux royaumes, celui des miroirs et l’humain, vivaient en paix ; on entrait et on sortait des miroirs. Une nuit, les gens du miroir envahirent la terre. Leur force était grande, mais après de sanglantes batailles, les arts magiques de l’Empereur Jaune prévalurent. Celui-ci repoussa les envahisseurs, les emprisonna dans les miroirs et leur imposa la tâche de répéter, comme en une espèce de rêve, tous les actes des hommes. Il les priva de leur force et de leur figure et les réduisit à de simples reflets serviles. Un jour, pourtant, ils secoueront cette léthargie magique. […]

Extrait de la nouvelle «Les animaux des miroirs» tirée du Livre des êtres imaginaires de J.L. Borgès.

La révolte des choses représentées, sera-ce un monde sans miroir, sans théâtre et sans peinture ? Non et oui. Ce qui est en cause est la surface de séparation, la limite que forme l’écran plastique ou qu’enserre le cadre de la scène. Vous pensez cette limite, cette barre en termes de représentation, mais pensez-la aussi en termes d’économie libidinale. En supposant l’autonomie des créatures du miroir, Borgès ne propose pas une méditation, déjà mille fois faite depuis le Parménide, première partie, sur l’isomorphisme et l’hétéromorphisme du représentant et du représenté ; il imagine ces êtres comme des forces, et cette barre comme un barrage ; il imagine que l’Empereur, le Despote en général, ne peut garder sa place qu’à condition de refouler les monstres et de les contenir par- delà ce mur transparent. L’existence du sujet ne tient qu’à cette paroi, qu’à l’asservissement des puissances fluides et létales, refoulées de l’autre côté, à la fonction de le représenter. La représentation est ainsi supposée être un dispositif énergétique, dont la ruine serait celle du sujet et du pouvoir. […]

Extrait du texte Economie libidinale du dandy de J.F. Lyotard, premier chapitre «L’invasion».

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