Guillaume Mazauric

Textes

Qu’est-ce qu’une image ? Et que charrient les images qui déferlent quotidiennement
sur nous ? Ces questions, que posent depuis une vingtaine d’années les « visual
studies », invitent à considérer l’image non pas uniquement en termes d’objet ou de
signification, mais de relations avec la société dans laquelle elle est produite. Si l’on
a longtemps qualifié l’œuvre d’un.e artiste par sa technique, force est de constater
que son medium est désormais plus que son matériel, plus que son message : il est
l’ensemble des pratiques qui rendent possible son émergence, c’est- à-dire non
seulement la toile et la peinture, le châssis, l’atelier, la galerie, le musée, le système
marchand ou la critique, mais il s’enrichit aussi en profondeur des mutations mêmes
du régime visuel contemporain.
Ces évolutions de la notion d’image sont au cœur des recherches de Guillaume
Mazauric. Depuis cinq ans, l’artiste s’approprie, de manière pratique et critique,
certains outils et technologies de fabrication des images : il puise dans l’histoire de
l’art, par l’emploi de techniques traditionnelles, mais aussi dans l’actualité, par
l’emploi et la veille sur les technologies les plus innovantes en termes de production
d’images. Ce double prisme caractérise ses dernières expérimentations picturales,
qui portent sur les notions de ressemblance, de vraisemblance et de narration qui ont
à toutes époques fortement imprégné les formes de l’art (tableaux, photographies,
films, etc.). Ses tableaux récents recentrent ainsi leur problématique sur les
questions de la reproduction des images, de leurs modes de génération, de diffusion
et d’altération.
Depuis deux ans, Guillaume Mazauric s’est plus particulièrement intéressé à la
génération d’images photoréalistes par des algorithmes d’apprentissage machine ;
ces programmes sont par exemple capables de générer des portraits
photographiques de personnes qui n’existent pas. Ils permettent également de créer
à l’infini des images abstraites qui cependant ressemblent à des choses réelles en
appliquant à des formes aléatoires les textures et propriétés matérielles de choses
communes (voitures, fruits, meubles, personnes ou animaux, etc.). L’artiste poursuit
également ses recherches sur les images photographiques, les photomontages et
plus généralement sur la construction d’une réalité alternative par les simulations,
dont les pratiques artisanales du dessin et de la peinture prennent en charge le
contrepoint.

Texte de médiation de l’exposition Until Life

Miroir, mon beau miroir… Ouverture des portes de l’espoir comme du désespoir. À lecture rapide des œuvres de Guillaume Mazauric, nous serions tentés de dire : rien à voir avec l’histoire. Une remise en contexte s’impose. Dans le livre Blanche-Neige des frères Grimm, le miroir magique porte le costume de la vérité et ne laisse aucune place au mensonge face aux interrogations récurrentes de la reine. C’est d’ailleurs sur ce principe même que repose l’intrigue du conte.

Transposée dans celle que nous raconte, à travers ses peintures et installations, Guillaume Mazauric, cette intrigue, si elle est bien le reflet de nos préoccupations, enfile un tout autre costume. Ici, la vérité s’est effacée, et si reine il y avait, elle se serait perdue dans le déroulement du fil d’actualité d’un réel fantasmé, qui apparaitrait sous nos yeux comme brouillé voir crypté, tant il revêt désormais les habits vendus par le monde merveilleux de l’artificialité. À l’inverse même du miroir de notre reine-sorcière, Guillaume Mazauric n’a pas ici l’ambition de répondre à une question mais plutôt d’apporter son interprétation. Nulle vérité générale n’émanera donc ni des œuvres de l’artiste, ni de ce texte prétexte à en décrire le contexte. Dans Blanche-Neige, ce qui pousse la reine à questionner quotidiennement son objet magique renvoie à l’image on ne peut plus contemporaine du sujet de la beauté et de sa subjectivité pesante, et plus largement du souci des apparences. Autrement dit, de l’image renvoyée au commun des mortels. D’images et de reflets, il en est également sujet dans la nouvelle Animaux des miroirs, tiré du Livre des êtres imaginaires de Jorge Luis Borges, qui inspire encore aujourd’hui fortement l’oeuvre de notre artiste peintre. Une nouvelle dans laquelle, plongés dans des temps anciens, deux royaumes qui communiquaient autrefois en paix, celui des humains et celui des miroirs, se livrent de sanglantes batailles afin que les uns prennent le contrôle sur les autres et les enferment dans un état léthargique. Aussi fantastique que machiavélique.

Ismael martin

« Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. C’est en ces mots que l’auteur des Petits poèmes en proses ouvre « Les Fenêtres », texte saisissant dans son invitation à une expérience esthétique réalisée entre l’intérieur et l’extérieur et de rappeler son travail de critique pour les Salons de 1845, 1846 et 1859. Au début de l’année 2018, Guillaume Mazauric offre, à sa manière, une relecture particulière de ce travail d’espace. L’installation picturale Ballade au bout du monde travaille par spécialisation, et nous sommes invités, à travers un seuil d’abord obturé par un premier tableau, à pénétrer dans une image, une fois cette « fenêtre » ouverte. Changement de point de vue donc, mais aussi de perspective ou, comme l’explique Léo Bioret dans son introduction à l’exposition « Un phénomène d’absorption (qui) révèle l’utilisation d’une perspective singulière, un temps d’arrêt vers une peinture de point de vue ». À l’inverse du travail perspectiviviste, l’oeuvre vient ici se définir dans sa globalité, travaillant par une composition qui vient amorcer l’expérience visuelle, une fois la rétine habituée à son nouvel environnement. Par-delà la leçon donnée à l’œil, c’est une remise en question de la perception toute entière que proposent l’architecture méditative et cette tentation d’une oeuvre globale.

Le tableau-immersif précédemment décrit est inspirée de la nouvelle de J.L Borges « Les animaux des miroirs », texte qui inspire déjà l’artiste à l’occasion d’une série réalisée en 2017. Le travail de peinture de Mazauric est construit à partir d’un constat de l’accélération de la production d’images. C’est d’ailleurs en partie sur Internet et dans ses dossiers personnels qu’il assouvi sa pulsion warburgienne contemporaine et classique. Il les range précieusement dans un atlas d’œuvres potentielles. Simplement, au lieu de les retoucher et avant de les traduire en peinture — et plutôt que des les appliquer telles qu’elles sur la toile —, Guillaume Mazauric a trouvé deux moyens simples et infaillibles pour les rendre inspirantes : l’assemblage et le cadrage. Trop facile, en effet, de trouver aujourd’hui une photographie rumorale quelconque ou d’une violence évocatrice, trop évident d’utiliser la célèbre viralité qui transforme n’importe quelle cliché familier une fois peint avec style. L’artiste s’éloigne de l’espace entendu et spectaculaire de la représentation pour chercher des sources plutôt banales mais qui, une fois recadrées et imperceptiblement modifiées, deviennent d’autant plus dérangeantes qu’elles sont la mise en scène de notre vie quotidienne, laissant ainsi la fenêtre entrouverte. »

Léo Guy-Denarcy, texte pour le catalogue du 64e Salon de Montrouge

« Pour Guillaume Mazauric la peinture est un outil essentiel de compréhension des images, une forme de liberté dans laquelle il recherche l’unité, la représentation totale.

En quête de nouveaux effets de cadrages, d’échelles contradictoires et de procédés contemplatifs, il se demande sans cesse, « ce que peut l’image peinte ».

Non par fanatisme historique, mais bien par appréciations technique et visuelle, il a développé sa culture des images autour des démarches qui ont jalonné les révolutions picturales du XVIIème siècle. La composition des scènes d’intérieures de Diego Velasquez ou de Johannes Vermeer interpellent toujours l’artiste. Cet intérêt pour la construction des éléments de décor et les rapports entre espace réel et espace du tableau sont parties-prenantes de ses réflexions. Il explore les pratiques classiques pour développer un nouvel usage de la peinture.

Habité par un plaisir de faire des images, Guillaume Mazauric s’interroge sur l’existence d’un fait pictural. Il s’éloigne d’un hyperréalisme trop séduisant pour réaliser une oeuvre plus ouverte au sens, empreinte de procédés d’assemblages proches du photomontages et d’une grammaire cinématographique.

Sujets et décors sont superposés dans une modulation visuelle imprégnée par les registres de l’imagerie populaire, des photogrammes et des illustrations issues de la culture numérique et du livre.

Guillaume Mazauric développe son intention par l’impact visuel: ambiances architecturales et végétales, lieux de passage et d’attente, projection inversée, attitudes portraitisées et scènes « mythologiques » se confondent et s’ajustent, créant ainsi les zones d’équilibre de ses compositions.

La peinture provoque l’arrêt. Par combinaisons de cadrages et une volonté de multiplier les surfaces, il nous fait « mettre les pieds » dans ses toiles et nous invite alors dans une nouvelle expérience transcendantale, la Ballade au bout du monde.

C’est un artiste révélateur. Dans cette installation pour Mutatio, les formats augmentent et la rigidité du tableau éclate. La projection intra-picturale, produit une image qui enveloppe le regardeur et l’intègre à la composition.

L’effet de miroir est au centre d’un chassé-croisé qui bouleverse les frontières dans un mouvement délibéré entre la peinture et l’oeil.

Entre plan et volume, à la lisière des reflets, nous tentons l’expérience du peintre, installés sur une terrasse en bois devant un horizon à l’orée du jour. Sous les feuillages disparaissant dans l’obscurité, nous devenons les figures centrales de l’oeuvre de Guillaume Mazauric.

Cette spatialisation, dérivée de l’univers narratif de l’artiste est inspirée par une légende chinoise, Les animaux des miroirs, condamnés à reproduire les gestes et les attitudes des êtres réels. Le poisson est le premier à franchir le monde des reflets. Observateurs d’un point de vue fictif, nous sommes témoins de l’imminence de l’apparition des êtres de la représentation dans la peinture.

Proche du moment d’inclusion, au sol, un effet aquatique sur fond noir laisse apparaître des abysses, une carpe.

À l’orle du rêve, un ciel coloré et dégradé jusqu’au bleu profond est peint jusqu’à l’angle du plafond. Sur les murs, des fleurs et des arbres semblent se révéler dans une lumière aux lueurs du jour et du néon.

Cet espace peint fonctionne comme un amplificateur de contemplation. L’univers unique dicté par le cadre du tableau s’ouvre ici sur un vision continue de l’image.

En entrant dans la pièce, la terrasse nous propose un ensemble de points de vues limités, un accès à l’oeuvre. C’est l’élément de composition qui déclenche la prise du regard.

Ce belvédère structure la réflexion spatiale de l’artiste, et offre une vue imprenable sur sa démonstration soliptique. Un phénomène d’absorption révèle l’utilisation d’une perspective singulière, un temps d’arrêt vers une peinture de point de vue.

Du visible au dicible, de la représentation à l’imaginaire, nous pouvons douter de tout, alors tout est possible dans cette Ballade au bout du monde. »

Léo Bioret pour l’exposition « Ballade au bout du monde »