Guillaume Mazauric

Mai 2017 Casa Velasquez

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Le tableau d’un tableau

Nouvelles images et expérience de la peinture : le dispositif des Ménines de Velasquez

Qu’est-ce qu’un tableau ? Plus précisément qu’est-ce qu’un tableau aujourd’hui, par rapport à ce que c’était à l’origine. Nous vivons une époque d’apparition de nouvelles images qu’il faut penser et interpréter à travers les médiums d’image eux-mêmes – dont la peinture – comme l’ont fait les peintres des XVIe et XVIIe siècles avec l’apparition d’un type d’image nouveau : le tableau. La peinture espagnole de cette époque compte de nombreuses pièces intéressantes à ce sujet. On en doit quelques exemples à Diego Velasquez, le plus remarquable étant le trésor du musée du Prado : Le Tableau de la Famille dit Les Ménines. Ce tableau ne quittant jamais le musée madrilène, cette résidence est pour moi l’opportunité idéale de travailler directement sur cette œuvre qui m’intéresse depuis longtemps. Mon projet durant ces trois mois de résidence serait de mettre le dispositif de Velasquez à l’épreuve des nouveaux usages des images comme le montage ou l’atlas/grille, et produire deux pièces : une série d’études et un triptyque. J’espère par cette interprétation délibérément anachronique du tableau appréhender l’efficience intemporelle de son dispositif.

Le Prado est un musée dont les collections de peinture m’intéressent particulièrement. Au cours de mes études, je me suis régulièrement penché sur des questions liées au « destin des images 1 » et à l’histoire de la représentation. Dans ces recherches, Les Ménines sont une référence récurrente. Une résidence me permettant de voir enfin et de développer un rapport intime et profond avec cette œuvre représente à mes yeux une superbe opportunité, à laquelle s’ajouterait la chance de pouvoir échanger avec d’autres artistes et spécialistes de Velasquez.

Dossier CDV 2017

On connaît grâce aux recherches conduites par Manuela Mena Marques2 les deux moments du tableau, d’abord peinture officielle puis capricho privé réservé au seul regard du roi. L’abandon de cette assignation dynastique permet ainsi à Velasquez de créer une œuvre de réflexion sur la peinture et ses qualités propres.

Un tableau est un objet physique amené par un effort de l’esprit, de l’œil et de la main d’un artiste au regard d’un spectateur. Ce n’est pas seulement une image, c’est une expérience. Les Ménines l’illustre parfaitement : la composition inclut l’espace du spectateur. Pour Velasquez ce spectateur est identifié, il s’agit du roi et l’expérience qu’il lui offre est celle de tout le déploiement de son art vers lui. La peinture regarde Philippe IV en train de la regarder. Là où cette toile trouve un intérêt nouveau, c’est qu’une fois déplacée des appartements du roi au cimaises du Prado et par la même offerte aux regards de milliers de spectateurs, elle ne perd pas son sens et gagne au contraire en épaisseur sémantique.

Philosophes et historiens de l’art ont écrit de nombreux textes visant à faire la lumière sur le sens original du tableau et de son dispositif de composition singulier. Pour ma part je ne souhaite pas l’interpréter ou l’aborder par l’analyse de sa signification. Je veux plutôt m’approprier cette œuvre par son dispositif formel, sa composition et sa facture, au ras de sa surface, en peintre. Je m’attends à d’heureuses surprises, Les Ménines étant une formidable boîte à outil pour qui s’intéresse à l’expérience d’un tableau pour son auteur ou son spectateur3.

Projet

La première phase de mon travail sera une étude approfondie, sur des pages de carnets ou de rapides études à la peinture des différents éléments qui composent le tableau et de les rassembler en un ensemble qui fasse œuvre, selon un processus de défiguration de cette peinture. Retrouver les différents moments de peinture des Ménines, donner à voir le travail fragmenté qui donne lieu in fine à un tableau. A ce stade apparaîtront les éléments de composition qui dirigeront la seconde phase de mon travail lors de cette résidence : la création d’un triptyque inspiré par le dispositif des Ménines.

Mon idée serait d’utiliser le dispositif à trois points de vue du tableau (peintre, miroir, observateur du fond) pour le mettre à l’épreuve des usages contemporains des images (montage, gros plan, surimpression,…). Comme le souligne Daniel Arasse4, Les Ménines est une fiction, un échafaudage narratif et visuel visant à produire un sens précis. Ma problématique sera de savoir quelle histoire, quel argument de départ sera le plus à même de servir mon étude du dispositif mis en place par Velasquez et ma volonté de donner du sens aux pratiques nouvelles des images. Le triptyque me paraît à ce stade être une forme pertinente car en tant que série d’images il a l’avantage d’être adéquat à des usages anciens (retables, portraits royaux, scènes de genre,…) et contemporains (cinéma, illustration de presse, atlas ou grille d’images, …). La question des axes de composition de ce triptyque sera déterminée au cours de ma première phase d’étude et de déconstruction du tableau selon une méthode proche de celle de Thomas, le photographe du film Blow Up, qui cherche à comprendre à travers une série de clichés le sens d’une scène qu’il a observée.

A chaque époque de grands changements de paradigme des régimes de représentation, les faiseurs d’images regardent comment les anciens se sont confrontés aux problèmes de leur temps pour trouver des outils leur permettant de répondre aux questions du leur. Le fait qu’actuellement tout le monde soit un « faiseur d’images » est un phénomène remarquable à mes yeux. La peinture aujourd’hui libérée des fonctions de représentation qui lui incombait à l’époque de Velasquez au profit des appareils d’enregistrement reste néanmoins un outil d’interprétation singulier de ce phénomène. La présence, le volume de la peinture oppose un temps de contemplation, un rapport physique à l’image qui se distingue radicalement de l’instantanéité de la représentation photographique. C’est précisément l’actualité de ce rapport que je me propose d’investiguer dans mes réalisations au cours de cette résidence, éclairé par l’œuvre de Velasquez.

  1. J. Rancière, Le destin des images, La Fabrique, 2003.
  2. Conservatrice du Musée du Prado de 2001 à 2017.
  3. Sur ce point voir V. Stoichita, L’instauration du tableau. Klincksieck, 1993
  4. D. Arasse, « L’oeil du maître » in On y voit rien. Folio essais, 2000

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Attentes

Effectuer cette résidence à Madrid représente la chance d’approfondir ma compréhension et ma connaissance des maîtres de la peinture espagnole. Les Ménines en est un exemple remarquable mais le Prado et la ville de Madrid comptent de nombreux trésors d’histoire de l’art.

En second lieu j’insisterais sur le fait que je n’ai repris une pratique artistique professionnelle à temps plein que récemment. J’étais salarié ces trois dernières années, ce qui circonscrivait mes recherches et ma pratique aux temps libres le soir et le week- end. Aujourd’hui je considère que la peinture telle que je l’envisage est un travail à plein temps, c’est à cette condition que je parviens à obtenir les résultats plastiques que je souhaite et que j’arrive à évoluer à un rythme convenable. Cette résidence m’attire donc en ce sens pour les conditions de travail idéales qu’elle offre.

Très prosaïquement je souhaite qu’inscrire cette expérience importante à mon parcours professionnel m’aide à trouver de nouveaux moyens de poursuivre mes recherches.

J’ajouterais en conclusion que travailler pendant trois mois en contact direct avec les collections du Prado autant que la perspective d’échanger sur place avec des spécialistes ou amateurs de cette peinture est inestimable pour moi, représentant la possibilité d’amener ma pratique et la problématisation de ses enjeux à un tout autre niveau.

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