Guillaume Mazauric

Décembre 2020 dossier artistique 2020

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Dans mon travail récent je cherche à rendre sensible l’idée que les représentations s’émancipent peu à peu des consciences et des regards par un biais technologique, propulsant des êtres étranges et monstrueux dans le monde réel.

Cette idée est inspiré en grande partie de la nouvelle les animaux des miroirs de J.L. borges dont un extrait est en exergue de ce dossier. Mes peintures et installations tendent à suggérer une tension entre ressemblance et totale étrangeté. Je m’attache à mettre en scène la contamination et le recouvrement des expériences sensibles par leurs représentations, leurs images, leurs simulations.

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Concrètement, la sollicitation constante des facultés de représentation (même pendant le sommeil parfois), conscience et regard, produit un état de choc permanent qui fatigue, trouble, abîme ces facultés humaines essentielles. Il n’est pas étonnant dès lors d’observer des représentations fragiles, dissonantes, morbides, manipulables.

La peinture et le dessin sont à mon avis de bonnes réponses stratégiques aux images et messages qui nous assaillent. Ces pratiques jouent un peu le même rôle pour le regard que la méditation pour l’esprit. Elles incitent à regarder quelque chose ou son image afin d’en apprécier ses caractéristiques plastiques (couleur, lumière, texture, volume) et pas son sujet ou son contenu. Cet effet de déplacement de l’attention et du regard permet de mieux y voir et de reconnecter le sujet à ces facultés dont les machines sont de plus en plus les légataires (À quoi bon regarder ce que je peux photographier ? À quoi bon écouter ce que je peux enregistrer ? etc.)

Un fait intéressant qui nourrit mon travail depuis plus d’un an est que les machines (ou programmes informatiques pour être moins vague) ne sont plus de simples enregistreurs des regards sur le monde, elles sont désormais capables d’en produire elles même après s’être entraînés à analyser des images produites par des humains. On s’approche ici du stade ultime de simulation défini par Jean Baudrillard dans Simulacre et Simulation, soit une simulation de simulation. La technologie permettant cette prouesse s’appelle réseaux génératifs antagonistes (GAN).

Ce qui ressort des résultats encore balbutiants offerts par ces programmes, c’est un sentiment confus de familiarité et d’étrangeté avec les formes qu’ils produisent, aucune véritable équivalence dans la réalité, aucune ressemblance avérée. Les textures, les formes, les environnements sont pourtant «photoréalistes», ce que nous voyons c’est la photographie de quelque chose qui n’existe pas, la simulation d’une photographie. Ces images apparaissent comme une langue étrangère visuelle, un aperçu de notre monde vu par des machines.

Ces programmes de génération d’images inspirent déjà les artistes dans une large mesure et on rencontre malheureusement des approches douteuses dans le sens où elles tendent à défendre un art sans artistes, produit entièrement par des intelligences artificielles. Ce n’est pas mon propos au contraire, je pense que déléguer une activité humaine à des dispositifs techniques comme les IA est une forme de soumission alors que l’appropriation de ces dispositifs permet de s’en émanciper et d’étendre nos pratiques.

Par exemple peindre à partir de ces images représente un défi plastique passionnant, elles autorisent une approche figurative tout en éludant la problématique du sujet et de la ressemblance. Ces techniques m’intéressent également beaucoup car elles entrent en résonance de façon très pertinentes avec mes recherches sur cette idée d’une contamination et d’un recouvrement progressif des expériences par leurs représentations.

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